Contournement de Saint-Gilles: avons-nous perdu le Nord?
Chouette! Une route en 2X2 voies - 110 km/h pour relier Saint-Lô à Coutances! Les intellos seront plus vite au festival de jazz sous les pommiers, les bobos seront plus vite à Coutainville, les prolos seront plus vite au village-vacance de Blainville, les contemplatifs seront plus vite au havre de Régneville... Tout le monde est d'accord, le développement commande des routes (1). Tout le monde est d'accord: il en faut, mais qu'elles passent loin de chez moi. Voilà à peu près les deux vérités solides dans ce dossier du contournement de Saint-Gilles. Pour le reste, voici notre analyse.
Qui dit vrai sur les chiffres?
Cette route doit contourner le bourg de Saint Gilles. Faut-il passer au nord ou au sud? That is THE question. Il y a une semaine, le conseil général de la Manche a voté pour le tracé sud qui, au premier abord, défie "la logique et le bon sens" comme l'écrit La Manche Libre. Le tracé sud est plus long et plus coûteux de 5 M d'euros selon l'hebdomadaire qui s'appuye sur une interview de Erick Beaufils, vice-président du conseil génral chargé des routes du département.
"Faux" (2), répond Gilles Quinquenel en 1ère ligne sur ce dossier car intéressé à plusieurs (trop?) titres (conseiller général du canton de Marigny, maire d'Hébécrevon, président de l'association de promotion du pays saint-lois, vice-pdt du Conseil général), qui défend le tracé sud et conteste le surcoût de 5M d'euros. Certes, nous dit-il, il y a un surcoût pour le tracé sud par rapport à l'option Nord mais il n'est de l'ordre que de 1,5M d'euros, "car il faut prendre en compte les aménagements de la Terrette", si l'on doit franchir ce cours d'eau par le tracé Nord. Alors, tout modestes bloggeurs que nous sommes, qui n'avons jamais mis les pieds à une séance du conseil général, on s'interroge et on se dit "c'est des guignols ou quoi?". 1) Les deux vice-présidents ne disent pas le même chiffre 2) S'il disent le même chiffre, in fine, pourquoi le coût d'aménagement du passage de la Terrette n'est pas intégré dès le départ dans le chiffre global donné à la réflexion des conseillers généraux?
Enfin, si le surcoût -diminué- demeure, "c'est sans compter les effets induits à venir en matière de développement économique" précise Gilles Quinquenel. On doit donc comprendre que le surcoût du tracé sud sera compensé par des retombées économiques futures. Franchement, on trouve cet argument bidon: les retombées économiques, il y en aurait eu aussi avec un contournement au nord.
Quoiqu'il en soit, il n'y a pas que le coût direct, même "insuffisamment pris en compte" selon le conseiller général de Saint-Lô-Ouest François Brière, qui évoque lui aussi un coût inférieur de 5 M d'euros pour le contournement Nord ("cf délibération du Conseil général" nous écrit-il). Gilles Quinquenel défend une analyse multi-critère: les coûts indirects sur l'environnement et sur l'agriculture doivent entrer en ligne de compte. Environnement: au nord ou au sud, entre nous, l'environnement n'est pas moins exceptionnel ni moins précieux. Impact agricole: la chambre d'agriculture a rendu deux avis négatifs pour un contournement par le sud (en face d'un rapport favorable au sud, rendu par le cabinet Vertès, après une étude commandée par le conseil général, et donc financée par lui; on nous prend pour des pommes ou des poires?).
En somme, si l'on doit expliquer le raisonnement de la majorité des élus qui a choisi le contournement par le sud de Saint Gilles: plus cher immédiatement, sur le papier, le tracé sud est en fait le meilleur choix en terme de coût/opportunité car le moins impactant, le plus porteur de développements ultérieurs...
Choix politique
"Je me suis abstenu au moment du vote car on nous a présenté au dernier moment une variante du tracé sud. J'ai exprimé publiquement mon souhait de disposer de plus amples informations sur ce nouveau tracé, présenté comme atténuant les nuisances générées par le 1er tracé, afin de se prononcer en toute connaissance de cause, par exemple lors de la prochaine session de novembre/décembre". Voilà ce que nous écrit François Brière. Il rejoint presque mot pour mot le point de vue de Denis de Kergorlay, "dépositaire" du château de Canisy et ses propriétés agricoles, opposé au tracé sud: "les conseillers généraux ne font pas collectivement « n’importe quoi ». Mais ils ont pris leur décision sur des informations biaisées et incomplètes. A mon sens ils n’avaient pas les éléments d’appréciation et les éléments budgétaires pour se prononcer en connaissance de cause."
En résumé, on aurait "manipulé" (3) l'assemblée des élus du conseil général, on aurait entretenu le flou... pour les tromper. Certains, dans ces conditions, se sont abstenus.
Finalement, 1,5 M ou 5 M d'euros de plus ou de moins, on s'en fout, ça se vaut, ne soyons pas dupes, là n'est pas la question. On fait réfléchir des conseillers généraux le coût de la route, son impact sur l'environnement, sur l'agriculture, sur l'habitat... on leur demande une "analyse multi-critère", une décision résultant d'un subtil dosage... Rien du tout! Le fond des choses, c'est un choix politique: Saint-Lô, la ville centre, préfère le contournement sud. Or l'avis de François Digard, maire de Saint-Lô, ancien chef de l'UMP manchoise, est forcément prescripteur. On ne peut imaginer que le jeune et récent député de Saint-Lô, Philippe Gosselin, nouveau boss de l'UMP (tiens tiens...) s'oppose à François Digard. Oh, surprise!, Philippe Gosselin est aussi président de la communauté de commune de Marigny, également concernée par la question du contournement (épargnée par l'option sud)! Et puis on rappelle les différentes casquettes de Gilles Quinquenel: conseiller général du canton de Marigny, maire d'Hébécrevon (ville qui déjà beaucoup donné à la 4 voies qui contourné Saint-Lô), président de l'association de promotion du pays saint-lois, vice-pdt du Conseil général. Ultime rappel: le conseil général est dirigé par un autre puissant UMP, JF Legrand. On ne peut imaginer que ces gens ne marchent pas ensemble. Et ils ne perdent pas le Nord. Car, la volonté politique est la suivante: développer les activités économiques plutôt dans la partie sud de Saint-Lô. Soit. Pourquoi pas. C'est un choix politique. Mais qu'on dise la vraie raison lorsqu'on propose le projet au vote des conseillers généraux; et qu'on arrête la tartufferie, "chers conseillers généraux, analysez bien quel est le meilleur choix de contournement, en fonction du coût, de l'impact sur l'environnement... blablabla..."
En face, quel choix politique? Celui de Denis de Kergorlay. "Ah oui, le chatelain de Canisy et son château... la route va passer pas loin... mais bon c'est fini les privilèges!" Puissant raisonnement! Denis de Kergorlay a lancé l'association de promotion et de sauvegarde du pays rural saint-lois, écho évident à l'autre association présidée par Gilles Quinquenel. Le choix politique de Kergorlay c'est de proposer un développement raisonné du pays saint lois: oui, Saint-Lô et sa périphérie s'urbanise et s'industrialise, mais qu'on ne le fasse pas n'importe comment. Canisy et son château sont un joyau dans un écrin rural et cet écrin doit demeurer rural; à défaut le diamant n'aura plus d'éclat. Avec le contournement par le sud de Saint Gilles, qui viendra donc vers Canisy, Denis de Kergorlay craint des ZI, des ZA, des ZAC et des sous-cités pavillonnaires cheap, moches et pas durables. Il y a plein d'autres joyaux autour de Saint-Lô à préserver d'une urbanisation effrenée et démesurée faite de faubourgs glauques. Saint-Lô, ville à la campagne, est également à choyer et à garder desserrée d'une ceinture urbaine.
Voilà le choix: pas plus ou moins 5M d'euros, plus ou moins long, plus ou moins Terette... mais à la mesure de l'environnement du pays saint-lois. Comment apprécier cette mesure? C'est bien là-dessus qu'il faudrait faire bosser les élus! C'est ce Nord politique qu'il ne faut pas perdre.
(1) Débat. Les alter-mondialistes diront "non, on peut faire autrement". C'est un choix politique, là encore. Hélas, le modèle économique dominant est le libéralisme, et c'est "développe-toi ou crève". En attendant le Grand Soir, Camarade!
(2) Il sous-entend que la Manche Libre trompe l'opinion publique car elle est partiale: "L'objectivité de la Manche Libre reste à démontrer, on peut être responsable d'un organe de presse et propriétaires de terrains". Ce qui n'empêche pas non plus d'avoir une opinion indépendante de l'intérêt de son patrimoine, alors même que celle-là et celui-ci iraient dans le même sens.
(3) Gilles Quinquenel évoque lui aussi, de "nombreuses pressions" sur les élus pour le tracé nord, de la part de "personnalités influentes". On sait que Denis de Kergorlay tutoye les grands de ce monde, de France pour le moins.
(4) Ne nous ont pas répondu, Christine Lecoz et Etienne Viard, respectivement conseillers généraux de Saint-Lô Est et Canisy.